S.Em. le cardinal Pietro Parolin : la diplomatie du Saint-Siège

Interview du légat du Saint-Père à Lourdes le 11 février 2017

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Homme discret, travailleur infatigable, diplomate de haute volée, le cardinal Pietro Parolin ne s’exprime que très rarement dans les médias. « Légat » du pape François à Lourdes, le 11 février, pour la célébration de la Journée mondiale du malade, il a accepté de prendre la parole dans les colonnes de Famille Chrétienne, alors que la voix singulière de la diplomatie vaticane semble toujours plus présente et nécessaire dans un contexte international incertain et en pleine mutation. Celui qu’on nomme aussi le « Premier ministre » du Vatican rentrait tout juste d’une longue tournée en Afrique.

Veillée de prière pour la Syrie, reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba, appels à désarmer l’agresseur en Irak, médiation du Vatican dans le cadre de crises politiques : l’Église semble toujours plus influente dans les relations internationales. Le confirmez-vous, et comment l’expliquez-vous ?

L’Église veut être aux côtés des hommes de notre temps, partageant leurs joies et leurs peines, en particulier leur désir et leurs espoirs de paix. Par conséquent, dans le contexte actuel d’une guerre menée par morceaux, comme l’a défini le Saint-Père François, le Saint-Siège se trouve naturellement engagé avec tous ceux qui, animés de bonne volonté, désirent dépasser les situations conflictuelles et favoriser la cohabitation pacifique entre les peuples.

Vous avez personnellement accumulé une très grande expérience diplomatique, au niveau bilatéral ou multilatéral. Dans le cadre des relations internationales, comment l’Église et sa diplomatie sont-elles généralement considérées ? Sont-elles des acteurs crédibles, importants et écoutés ?

Seule l’Histoire pourra répondre pleinement à cette question. Pour notre part, nous cherchons à faire de notre mieux pour donner un témoignage crédible, capable de toucher les cœurs et d’éclairer les choix de ceux qui ont des responsabilités au niveau local et international.

Il faut ensuite souligner que les paroles du pape François trouvent une écoute attentive auprès des responsables des nations, quand il se fait la voix des sans-voix et quand il attire leur attention sur les grandes valeurs qui doivent inspirer les choix en faveur de l’homme et de sa dignité. En guise d’exemple, son dernier discours au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège a suscité un grand intérêt.

Qu’est-ce qui différencie fondamentalement la diplomatie de l’Église catholique des diplomaties des autres États de la planète et qui alimente la confiance qu’on lui porte au travers le monde ?

La diplomatie pontificale tire sa force avant tout de l’Évangile. Elle aspire à favoriser des relations de justice et de concorde entre les nations, en se servant des instruments propres au droit international et à la lumière de la mission spirituelle spécifique de l’Église. L’action du Saint-Siège est principalement orientée vers l’édification de la paix et la promotion du développement humain intégral, dans le respect de la dignité de chaque être humain et de ses droits fondamentaux, le premier étant l’exercice de la liberté religieuse.

Pouvez-vous nous citer quelques-uns des pays les plus difficiles pour la diplomatie vaticane aujourd’hui, pour lesquels doit se porter en particulier la prière des chrétiens ?

De nos jours, il y a sans aucun doute beaucoup de situations complexes qui mettent à rude épreuve les relations au sein de la communauté internationale. Je pense que, pour nous chrétiens, la situation de la Terre sainte doit être prise en considération avec une attention spéciale.

Le Saint-Siège porte spécialement dans son cœur les souffrances injustes d’un nombre considérable de nos frères et sœurs qui vivent dans des contextes de guerre, de tous ceux qui sont privés de maison et de travail, et de tous ceux qui sont persécutés à cause de leur foi ou qui ne peuvent pas non plus témoigner publiquement de leur appartenance à l’Église. J’invite à la prière de manière spéciale pour toutes ces personnes.

La guerre est à nouveau présente en Europe, aux marges de l’Ukraine. Comment le Saint-Siège agit-il pour promouvoir la paix dans ce pays, et quelle est sa position à l’égard de ce conflit ?

En plus d’avoir provoqué beaucoup de victimes, la guerre en Ukraine, qui représente un manque de respect du droit international, afflige toute la population de ce pays et entraîne de graves conséquences à tous les niveaux. Non seulement le Saint-Siège ne cesse d’affirmer l’urgence de la prière pour la paix dans cette région, mais il invoque également le plein respect de la trêve. Il promeut aussi toute initiative utile à faire arriver les aides humanitaires, en agissant directement sur le terrain, comme en témoigne la collecte dans les églises particulières en Europe, demandée en mai dernier par le Saint-Père.

L’émergence de l’organisation État islamique a été l’aboutissement d’une série d’injustices politiques (invasion de l’Irak par les États-Unis, mise au ban des sunnites par le gouvernement chiite pro-américain…), terreau sur lequel s’est enraciné le terrorisme. La reconnaissance par les grand es puissances de leurs erreurs et injustices peut-elle être vue comme une condition à met tre en œuvre pour que cessent les attentats terroristes, en plus du « désarmement » de l’agresseur encouragé par le pape ?

Les violences inouïes de l’organisation terroriste et la multiplication des attentats font émerger différentes questions. Il y a la question du commerce des armes, plusieurs fois dénoncé par le pape François, eu égard au fait qu’il continue d’alimenter le conflit. Mais il y a également des questions liées aux solutions prises pour combattre le terrorisme. Dans le passé, on a parfois adopté des solutions unilatérales et des méthodes qui n’ont pas toujours respecté l’ordre constitué ou les circonstances culturelles particulières des peuples. En outre, on constate l’attirance que le phénomène a suscitée parmi les jeunes dans plusieurs parties du monde.

Le phénomène devrait être affronté à divers niveaux, à court et à long terme. Outre une réponse unifiée de la communauté internationale, il conviendrait d’assainir les relations blessées du tissu social au Moyen-Orient, en créant la confiance entre les différentes composantes de la société, en prêtant attention et en donnant la priorité à l’éducation. Il faut d’abord des projets innovateurs pour faire face aux défis contemporains, en commençant par l’accueil et l’intégration des immigrés.

Il ne sied pas, enfin, d’oublier la contribution que la religion offre à la société, par le dialogue interreligieux également, occasion privilégiée pour construire des ponts, à partir de la prise de conscience commune que – comme l’affirme le pape –, « on ne peut pas tuer au nom de Dieu ».

On évoque régulièrement des avancées et des reculs dans les relations entre le Saint-Siège et la Chine. Peut-on dire aujourd’hui que la situation évolue actuellement favorablement ? Y a-t-il espoir d’avancées substantielles dans les prochaines années ?

Pour la Chine comme pour le Saint-Siège, après des années de séparation et d’éloignement, il n’est pas facile de trouver des points de convergence et d’entente sur des questions fondamentalement importantes. Durant le long parcours de rapprochement de part et d’autre, il y a eu des hauts et des bas. Si les deux parties maintiennent leur bonne volonté et persévèrent dans leurs efforts, elles aboutiront à des résultats positifs.

S’agissant de la Syrie, l’Église, et notamment le pape, ne cesse d’en appeler à une solution diplomatique et politique. Pouvez-vous préciser ce que cela signifie ? Quel serait, pour vous, le moyen pour en finir avec ce conflit particulièrement meurtrier ?

Dès le début du conflit en Syrie, le Saint-Père a lancé un appel pour que cesse toute violence, en invitant tous les antagonistes à privilégier la voie du dialogue et de la réconciliation. En effet, le Saint-Siège a réaffirmé l’importance de la recherche d’une solution diplomatique et politique du conflit prenant en considération les aspirations légitimes du peuple syrien, ainsi que les souhaits de la communauté internationale, qui ne doit ménager aucun effort pour favoriser la paix en Syrie et garantir aussi la stabilité de toute la région.

Jeûne pour la Syrie, prière pour la paix dans les pays en guerre… : quel rôle joue pour vous la dimension spirituelle – et même le combat spirituel – dans les relations internationales ?

La dimension spirituelle doit avoir un rôle prioritaire, même dans un monde qui souvent ne reconnaît pas la force de la prière. Au contraire, il s’agit d’une force qui est très concrète. Comme nous avons pu le constater, elle peut contribuer à changer le cœur des personnes, en ramenant les parties en conflits à leur responsabilité, « en les désarmant » pour faire place à l’écoute réciproque, au dialogue et à la rencontre.

Vous avez préfacé un livre sur Mgr Giuseppe Canovai, seul diplomate du Saint-Siège pour lequel un procès de canonisation est en cours. Savez-vous où en est ce procès, et si d’autres pourraient être initiés ? Dans un monde où la guerre est à nouveau bien présente, la diplomatie est-elle un lieu privilégié pour la sainteté ?

Le serviteur de Dieu Giuseppe Canovai, prêtre et diplomate du Saint-Siège, est mort en odeur de sainteté le 11 novembre 1942, durant son activité comme auditeur de la nonciature apostolique en Argentine. En ce moment, sa cause est soumise à l’examen de la Congrégation pour les causes des saints, qui étudie sa vie, ses vertus, sa renommée de sainteté et les éventuels signes et/ou miracles qu’il aurait opérés.

Un prêtre argentin, Mgr Manuel Moledo, qui connaît bien le serviteur de Dieu, disait que Don Giuseppe « savait jeter des ponts sur les abîmes ». C’est ce qu’aujourd’hui le pape désolé demande dans un monde tourmenté par des conflits et blessé par les divisions : être constructeurs de ponts pour servir la cause de la paix. Certainement, les diplomates aussi sont appelés à la sainteté et peuvent se sanctifier par l’exercice de leur délicate et exigeante profession, comme nous le rappelle le concile œcuménique Vatican II au 5e chapitre de la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium.

N’oublions pas non plus que le pape Jean XXIII, représentant pontifical dans plusieurs pays, dont la France (1945-1953), fut un diplomate saint. À propos du lien entre sainteté et diplomatie, je voudrais conclure avec une phrase de Mgr Canovai qui me semble particulièrement significative : « Les demi-mesures et la médiocrité ne conduisent pas au paradis. Et c’est peut-être pour cela que notre temps est tellement éprouvé. »

Par sa spontanéité, sa liberté et certains gestes forts, le pape marque les représentants des pays du monde entier. Comment, en tant que personne, agit-il dans les relations internationales, en plus et en complément de la diplomatie vaticane ?

Le pape François nous a habitués à des paroles et gestes prophétiques, qui ont la capacité d’entrer au cœur des problèmes et d’indiquer des perspectives inédites pour les affronter. La diplomatie du Saint-Siège ne fait rien d’autre que donner forme aux intuitions du pape, en les traduisant par le langage et les moyens qui sont propres au droit international.

Un voyage du pape en France est régulièrement évoqué. Mais il semble régulièrement repoussé dans le temps. Les Français doivent-ils continuer à garder l’espoir d’une visite pontificale ?

Dans un entretien précédent avec Famille Chrétienne, j’avais dit que le Saint-Père voudrait bien aller en France, comme il l’a affirmé lui-même au retour de Strasbourg en 2014. Entre-temps, comme vous le savez, nous avons célébré le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, à cause duquel Sa Sainteté a dû réduire le nombre de voyages en dehors de l’Italie. Après l’élection présidentielle et les élections parlementaires qui auront lieu cette année en France, on pourra peut-être envisager la possibilité d’une visite en France, dans l’espoir que cela puisse se réaliser dans un avenir proche.

Propos recueillis par Jean-Marie Dumont de Famille Chrétienne, disponibles sur :
http://www.famillechretienne.fr/eglise/pape-et-vatican/le-cardinal-pietro-parolin-la-diplomatie-du-saint-siege-sur-tous-les-fronts-212994