Intervention de Mgr Paolo Bertoli, chef de délégation, durant le débat de politique générale

Le vrai visage de l’Église : Mgr Paolo Bertoli à la 13e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 29 octobre 1964

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Le présent débat général où sont évoquées tant de questions essentielles, retient au plus haut degré l’attention du Saint-Siège qui, depuis de longues années déjà, vous le savez, suit de près en tant qu’Observateur les travaux de l’UNESCO. Si l’Église catholique ne situe pas son action sur un plan proprement politique, elle souhaite aujourd’hui, comme par le passé, être activement présente à tous les grands efforts civilisateurs. Aussi est-ce très directement qu’elle entend appuyer l’œuvre de l’UNESCO. Et elle souhaite que, dans les contacts qu’elle y trouve, le sens et l’esprit de l’action de l’Église soient toujours mieux connus, en ce qu’ils ont de plus authentique et de plus profond.

Le Concile qui, actuellement, poursuit à Rome ses travaux, et qui, en ces jours mêmes, traite de l’action de l’Église dans le monde, contribue à en faire connaître le vrai visage. En même temps qu’elle se fonde sur l’affirmation d’une foi chrétienne nettement définie, l’Église est ouverte à toute recherche du vrai, à tout ce que tentent aujourd’hui les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur croyance, pour éclairer le problème de l’homme, pour faire face aux lourdes tâches du monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous attachons un grand intérêt au travail de l’UNESCO qui, par son caractère international, son expérience, constitue un haut lieu pour la réflexion et l’élaboration de l’action, pour la collaboration à l’échelle mondiale en tout ce qui a trait à la formation de l’homme et à la vie de l’esprit.

Nous avons été frappés de la préoccupation manifestée par le Directeur général de voir mieux défini le sens profond de l’action de l’UNESCO. Il fait dans plusieurs déclarations d’une netteté et d’une vigueur à laquelle nous tenons à rendre hommage. Dans le document 13 C/4, au n° 86, le Directeur général a souhaité que

la coopération intellectuelle et l’aide au développement puissent concourir […] à l’apparition et à l’épanouissement d’un nouvel humanisme où, tout naturellement, le respect de la personne humaine conduise à faire régner la paix dans les esprits et à mettre entièrement au service de la vie et non de la mort le merveilleux et effarant pouvoir de l’homme sur la nature.

Dans le même document, allant plus loin encore, le Directeur général n’a pas craint de déclarer que

l’UNESCO est essentiellement éthique (n° 69).

Il est à peine nécessaire de souligner combien nous adhérons à de telles préoccupations. Mais nous croyons nécessaire de préciser le sens dans lequel nous paraît devoir être entendu cet humanisme nouveau cette éthique, afin de pouvoir être acceptés sans réserves par ceux qui ont mis une foi religieuse à la base de leur vie.

Si nobles, si valables, si amples qu’ils soient, cet humanisme, cette éthique, ne sauraient conduire l’UNESCO à vouloir répondre à elle seule à toutes les aspirations de la personne humaine.

Pour les croyants, la foi vient précisément combler des aspirations qui ne peuvent être pleinement satisfaites au plan où se situe l’UNESCO. Celle-ci, en effet, ne peut faire directement intervenir dans la définition de son action, des considérations d’ordre religieux. Nul ne s’étonnera, si nous précisons que la foi n’est pas seulement une disposition intérieure, un sentiment, un acteur de culture. Elle fonde le caractère de l’existence, elle éclaire et soutient l’homme dans le service de ses frères, dans ses efforts pour la construction de la paix.

Ces exigences sont parfaitement compatibles avec le respect de la diversité des convictions qui s’imposent à l’UNESCO, et elles ne conduisent aucunement à méconnaître le caractère universel en son ordre, de la mission de l’organisation.

Sous-jacente à l’œuvre de l’UNESCO, c’est la conception même de l’homme qui est en question. Ainsi, l’enseignement, les moyens de communication, l’avancement des sciences, ne peuvent être correctement déterminés, ne prennent leur signification que dans la mesure où ils sont au service de l’homme, lui permettant de s’enrichir dans la liberté et de faire ses options en pleine responsabilité. Ceci implique que les activités de l’UNESCO soient dominées par le sens de la dignité absolue de la personne, du devoir de la respecter dans toute sa vérité, de ne jamais la traiter comme un pur objet ou comme un pur moyen, serait-ce au service des causes collectives bonnes en leur principe. Par ces vues que nous puisons au plus intime de notre foi chrétienne, nous avons le sentiment de rejoindre les aspirations les plus profondes et les plus universelles de l’homme.

Au nom même de ces vues, nous savons reconnaître la haute signification et la portée de la confiance qui, à l’UNESCO, est faite à la personne humaine et à toutes ses ressources intellectuelles. Ainsi fondée, la culture que veut promouvoir l’UNESCO, nous paraît pouvoir constituer un facteur de concorde et non d’inimitié, d’émulation et non de rivalité, de service fraternel et non de domination.

Dans les perspectives qui viennent d’être définies, qu’il nous soit permis de présenter maintenant quelques brèves observations sur les orientations principales du programme de l’Organisation.

L’éducation y a reçu très heureusement une priorité encore accentuée et deux objectifs nouveaux y ont une place de premier rang : la planification et l’alphabétisation.

Au sujet du premier, d’une indiscutable urgence, nous noterons simplement qu’il apparaît souhaitable que l’UNESCO ait le souci d’y faire intervenir la totalité de la réalité éducative dans les diverses expressions qu’elle offre au sein de chaque nation.

Quant à l’alphabétisation, ainsi que l’a fait savoir le Pape Paul VI au Directeur général, à la suite de la visite que ce dernier lui a faite en décembre de l’année passée, l’Église entend appuyer la noble et grande entreprise qui vise actuellement à libérer une large fraction des peuples de l’impuissance où les maintient l’ignorance de la lecture et de l’écriture. L’Église le fera sur la base d’une expérience séculaire en de nombreux pays, et de réalisations multiples, qu’elle sera heureuse d’associer à cet effort d’ensemble. Elle se réjouit de constater que, dans les débats auxquels a donné lieu la mise au point de ce projet, l’on ait insisté sur la nécessité d’intégrer l’effort d’alphabétisation dans le cadre plus large d’une formation globale de l’individu en vue aussi bien de le révéler à lui-même et de lui donner la pleine possessions de ses ressources propres que de l’adapter aux structures si solides de notre civilisation.

Mais, au delà de ces deux entreprises et des autres activités de l’UNESCO dans le domaine de la formation scolaire et extra-scolaire, nous nous permettons de formuler le vœu que l’Organisation, dans la ligne même de son orientation, plus nettement et plus explicitement éthique et humaniste, interroge de façon plus fondamentale sur les fins et le contenu de l’éducation. Bien des indices manifestent qu’elle en éprouve obscurément le besoin. Sans doute, ici encore, la diversité des idéologies qui sont représentées à l’UNESCO, ne permet pas -il faut savoir le reconnaître- de parvenir à une pleine unité de vues. Néanmoins, sur de nombreux points, un large accord est possible, ne serait-ce que sur l’urgence de porter remède aux déplorables carences de l’éducation dans le monde d’aujourd’hui, où une attention trop exclusive à la communication du savoir a fait négliger des aspects plus fondamentaux de la formation de l’homme ; et là où des divergences sont inévitables, un dialogue, un échange de vues seraient incontestablement féconds. Aucune instance ne semble plus appropriée que l’UNESCO pour de telles confrontations.

L’attention portée par l’UNESCO aux problèmes de la jeunesse nous paraît aussi particulièrement opportune. À cet égard, la Conférence de Grenoble, l’été dernier, a marqué une étape importante. Dans un travail, où nous sommes heureux de constater qu’il a été fait largement appel à l’expérience des organisations non gouvernementales, des questions majeures ont été abordées, tout à la fois avec réalisme et hauteur de vues. Devant une jeunesse souvent désemparée, qui a le sentiment d’être incomprise et qui est pourtant si ouverte aux aspects nouveaux de notre civilisation, toutes les forces spirituelles doivent s’unir en vue de lui apporter la sollicitude, la compréhension dont elle a si intensément besoin. Ses espoirs, son enthousiasme ne sauraient être déçus. Il nous appartient de nous y ouvrir pour les éclairer et les épanouir.

De portée apparemment moins directement humaine, le progrès de la science n’en est pas moins un fait majeur de notre époque. Si remarquables et si admirables que soient les conquêtes de la science et de ses applications, notre civilisation ne les a pas jusqu’ici suffisamment intégrées. En créant un département consacré à l’application des sciences et des techniques dans l’intérêt des régions en voie de développement, l’UNESCO opère une conversion de grande portée. Elle contribue à accomplir la science dans le sens de sa vocation profonde, qui est non seulement d’assurer le progrès de l’esprit en faisant reculer les limites de notre ignorance, mais aussi de promouvoir toutes les autres formes d’épanouissement et de progrès spirituel de l’individu et de la société.

Enfin en même temps qu’elle se tourne résolument vers l’avenir, l’UNESCO, dans le souci d’assumer dans leur intégralité les manifestations de l’esprit, a voulu accentuer son effort en vue de la conservation du patrimoine de l’humanité. À côté de l’entreprise de Nubie, elle entrepris de développer un programme d’ensemble englobant tous les monuments et toutes les œuvres d’art légués par le passé. Là aussi, elle peut être assurée du plein appui du Saint-Siège. Le dynamisme de l’Église est sans doute avant tout évangélisateur ; mais il s’est aussi traduit, spontanément, tout au long de son histoire, dans une éclosion d’œuvre d’art, qui constituent une des plus grandes richesses culturelles de l’humanité. Dans la diversité culturelle et religieuse des créations de l’art, l’Église reconnaît l’unité du genre humain et discerne une même aspiration à l’affirmation de la valeur du mouvement de l’esprit.

Cependant, nous ne chercherons pas cette unité seulement dans une communauté de nature et dans une même estime des œuvres de l’esprit. Nous la souhaitons plus profonde et plus complète. Nous voulons conjuguer nos efforts communs pour que s’instaure entre les hommes la paix dans l’union des cœurs et dans le dépassement de divergences et d’oppositions où l’humanité se déchire et s’épuise sans profit. Sachant l’écho rencontré ici-même par l’encyclique Pacem in terris du Pape Jean XXIII, dont nous ne pouvons pas rappeler sans émotion qu’il fut le premier Observateur du Saint-Siège auprès de l’UNESCO, nous sommes en mesure de dire en un sens encore plus authentique et plus profond que l’Église espère en l’œuvre de paix poursuivie par l’UNESCO.

Pour consulter les résolutions de la 13e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001145/114581f.pdf