Intervention du Cardinal Paul Poupard, chef de délégation, durant le débat de politique générale

Le service de l’homme : Cardinal Paul Poupard à la 28e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 28 octobre 1995

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Monsieur le Président, Madame la Présidente du Conseil exécutif, Monsieur le Directeur général, Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est pour moi un honneur et une joie de guider la délégation d’observation du Saint-Siège chargée de vous apporter les vœux du Pape Jean-Paul II pour la vingt-huitième session de la Conférence générale de l’UNESCO.

Le Saint-Siège suit les activités de l’organisation avec un vif intérêt qui se veut attentif et discret ; l’un et l’autre sont en effet au service de l’homme, selon les compétences et les champs d’action qui leur sont propres.

Si leurs compétences et leurs champs d’action sont spécifiques, l’UNESCO et le Saint-Siège s’adressent néanmoins tous deux à l’être humain, complexe et indivisible, dans l’harmonie de ses composantes, de ses aspirations, de ses droits et de ses devoirs. De par son origine, l’homme possède une dignité unique. Il se doit d’en prendre conscience pour mener une vie digne de sa vocation dans ses liens avec ses semblables, dans son attachement aux valeurs spirituelles et matérielles, pour parvenir à la connaissance de la vérité et à la compréhension de sa dignité. De manière responsable, car l’être humain, seul, peut et doit faire le choix nécessaire pour donner un sens à son existence, et adopter un comportement individuel et social conforme à sa nature. De manière libre, car la liberté est un attribut constitutif et essentiel de l’homme, elle fonde l’égalité et l’unicité de chaque personne humaine, demande le respect plus que la tolérance, avec la fraternité et la solidarité, dans la jouissance de ses droits inaliénables et dans l’accomplissement de ses devoirs individuels et sociaux.

Lors de sa récente visite au siège des Nations Unies, le Pape Jean-Paul II proposait d’élaborer une Charte des droits des nations, analogue à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Par cette initiative, le Saint-Siège entend concrétiser son souci de servir l’homme dans sa dimension personnelle, sociale et culturelle, et de préserver le droit inaliénable des peuples à exister dans le respect de la diversité, la tolérance réciproque et la solidarité concrète, afin de promouvoir une culture de la liberté responsable, enracinée dans les exigences libératrices de la vérité. Dans cette tâche exigeante qu’est le « service de l’homme », les responsables politiques savent pouvoir compter sur la collaboration du Saint-Siège et de l’Église catholique tout entière. Le service de l’homme, telle est la raison fondamentale de la promotion de la paix, du respect et de l’estime réciproques, de la coopération culturelle internationale. L’UNESCO constitue un carrefour unique et un lieu de rencontre, d’échanges et de concertation, indispensable pour affronter dans une démarche commune les grandes préoccupations éthiques de notre temps. L’éducation, l’école, la recherche scientifique, notamment en biologie et génétique humaine, les progrès technologiques de l’information et de la communication, domaines immenses qui relèvent de la compétence de l’UNESCO, sont porteurs d’interrogations graves et d’enjeux décisifs pour le devenir de l’homme.

Cette mission de concertation et de coopération devient de plus en plus importante à l’heure de la fragmentation et des particularismes. Plus que jamais il est nécessaire de coopérer pour faire émerger le patrimoine commun de valeurs susceptible de faire accéder toute l’humanité à une qualité de vie vraiment digne de l’homme, de sa vocation spirituelle et du destin éternel auquel l’appelle le Créateur.

L’éducation, droit fondamental de la personne et des peuples, facteur clé du développement, est fort justement l’une des priorités de l’UNESCO. Orientée vers un développement de la personne dans toutes ses potentialités, « l’éducation pour tous » prend aujourd’hui des allures de défi, car elle embrasse non seulement la cause des enfants et des jeunes, mais aussi celle des exclus et des marginaux, et elle devient une exigence permanente et universelle.

Les enseignants le savent bien : il est parfaitement illusoire de satisfaire aux exigences d’une éducation complète sans communauté éducative où les compétences se conjuguent au service des personnes. De l’éducation initiale à la formation permanente, il est nécessaire de créer des « milieux formateurs » dont la mission ne se limite pas à transmettre un savoir. Les éducateurs de jeunes et les formateurs d’adultes, à travers les savoirs transmis, forment des citoyens et les préparent à prendre leur part de responsabilités dans la vie sociale et économique, politique et culturelle, à la lumière des principes et des valeurs éthiques qui constituent le patrimoine de l’humanité.

Pour sa part, le Saint-Siège invite les communautés éducatives catholiques à s’inscrire dans la réalité institutionnelle d’une société pluraliste pour y jouer un rôle spécifique au nom de la communauté des baptisés, à la poursuite du bien commun et notamment du développement intégral de l’homme et du développement solidaire de l’humanité. Dans cette perspective, le Saint-Siège appuie particulièrement l’action des organisations internationales catholiques dans les programmes orientés vers un développement intégral et solidaire de l’homme et de l’humanité, et se réjouit de l’œuvre accomplie à ce jour, marquée notamment par la publication de « La culture, chemin d’un développement solidaire, contribution des organisations internationales catholiques à la Décennie mondiale du développement culturel », que j’ai eu le privilège de présenter ici-même, au Siège de l’UNESCO, le 10 novembre 1989.

La dimension culturelle du développement fait l’objet d’une attention soutenue de l’UNESCO, et le Saint-Siège s’en réjouit. L’évolution des mentalités et leur sensibilisation croissante à la culture démontrent la justesse des choix assumés par l’organisation dans la préparation et l’exécution de ses programmes culturels de développement. En développant une véritable éthique de la solidarité économique et culturelle, pour construire une culture du partage des dons et de l’aide mutuelle, nous servons la cause de l’homme dans son intégralité.

La nature même de l’homme l’exige et le Pape Jean-Paul II le rappelait, le 5 octobre dernier devant l’Assemblée générale des Nations Unies :

La liberté est la mesure de la dignité et de la grandeur de l’homme. Pour les individus et les peuples, vivre libre est un grand défi pour le progrès spirituel de l’homme et la vigueur morale des nations.

Le développement intégral comprend donc une dimension éthique dont la liberté est le paradigme, car celle-ci est la clé de voûte de la responsabilité personnelle et communautaire, et le signe caractéristique des actes vraiment humains.

Œuvrer pour l’alphabétisation et l’instruction, pour la coopération culturelle internationale, travailler au développement intégral des personnes et des peuples, c’est édifier la culture de la paix et de la solidarité.

L’UNESCO, forum international aux dimensions du monde, est l’un des lieux privilégiés de la construction de la paix par l’intermédiaire de la coopération culturelle, qui élève les échanges humains à un niveau supérieur de communion des esprits et des cœurs. Monsieur le Directeur général le rappelait en célébrant le cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale : les fondateurs de l’UNESCO ont énoncé la condition de la vraie paix, de la paix éthique, à savoir « la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité ».

Comme le développement s’adresse à la personne humaine dans son intégralité, la coopération internationale ne saurait se limiter aux questions économiques, ni même à l’assistance humanitaire pourtant si indispensable aux millions de personnes qui souffrent de la pauvreté et vivent dans des conditions inhumaines.

Trop d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards manquent de cette paix sans laquelle la vie sur terre devient un enfer. Trop d’innocents souffrent injustement une précarité incompatible avec leur dignité d’hommes. Nous devons poursuivre le chemin tracé par ces cinquante premières années de coopération et réaffirmer notre engagement en faveur de la solidarité qui, seule, permet à tous de vivre dans la paix et la dignité. Oui, seule la paix garantit la stabilité d’une société solidaire, comme la solidarité est la meilleure assurance de la paix. Pour atteindre son plein épanouissement, la personne humaine doit se développer progressivement et, pour ce faire, elle a besoin de paix et de solidarité, car l’homme devient lui-même dans un rapport harmonieux avec l’autre, qui lui fait percevoir sa propre identité face à l’altérité, et fonde la vie sociale sur la complémentarité dans la diversité et le respect de la nature.

Excellences, Mesdames, Messieurs, nous sommes appelés au courage de l’esprit pour éviter le piège des illusions provisoirement consolantes, et au courage de la volonté pour surmonter le désir d’avoir toujours plus et la peur de perdre des richesses acquises dans un processus dont la spirale s’affole au détriment des pauvres.

Reconnaître une nature humaine irréductible à tous les conditionnements, c’est s’engager du même coup à reconnaître des droits de l’homme universels et inaliénables, et une pluralité de cultures enracinée dans des valeurs fondamentales où elles trouvent leur ancrage historique. C’est surmonter, en même temps, une tentation d’indifférence de jugement et d’apathie de comportement, pour s’engager avec un courage renouvelé dans le combat pour l’homme, l’inviolabilité de sa conscience, la transcendance de sa personne, l’universalité de ses droits et la pérennité de ses devoirs.

L’avenir de l’homme, c’est la culture

disait Jean-Paul II voici quinze ans à cette tribune unique au monde.

Et il n’y a de culture que de l’homme, par l’homme et pour l’homme.

L’UNESCO a déjà parcouru un long chemin au service de l’éducation, de la science et de la culture. Il lui reste, au seuil du nouveau millénaire, à remplir une grande tâche au service de l’homme. C’est là sa raison d’être, la source de son inspiration, et sa plus haute ambition.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.

Pour consulter les résolutions de la 28e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0010/001018/101803f.pdf