Intervention de Mgr Jean Rupp, chef de délégation, durant le débat de politique générale

L’origine transcendante de la personne humaine : Mgr Jean Rupp à la 20e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 31 octobre 1978

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Je suis ému de me retrouver, après 27 ans, aux assises de l’UNESCO. Elles ne se tiennent plus comme alors sous ce que François Mauriac appelait, dans son style passionné « les lambris affreux du Majestic », mais dans un magnifique édifice qui modernise et embellit un des plus beaux quartiers de Paris.

Que de morts depuis les assises de 1946 auxquelles je fus présent : Julian Huxley, qui ne refusait pas de dialoguer avec le jeune que j’étais alors, ou plutôt de monologuer devant lui ; Jaime Torres Bodet et René Maheu, amis sincères et si brillants. Leur successeur actuel, Monsieur M’Bow que j’ai l’honneur de connaître personnellement depuis un dîner inoubliable à l’Ambassade sénégalaise de Baghdad, a droit à toute la reconnaissance de la Délégation du Saint-Siège pour sa remarquable compréhension de ses positions majeures. Plusieurs prêtres aussi sont présents à ma pensée : Angelo Roncalli, futur Jean XXIII, premier observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO ; Jean Maroun, longtemps membre du Conseil Exécutif, qui fut criblé de balles dans son cher et douloureux Liban. J’ai pu revoir l’an dernier son beau sourire si fin et si amical avant que la mort lui fermât les yeux. Que d’autres on pourrait évoquer ! mais son rôle est plus austère et dois le remplir consciencieusement.

Au premier rang des dix problèmes qui sont le cadre de son programme à moyen terme, l’UNESCO a inscrit la promotion des droits de l’homme. La place ainsi donnée par l’Organisation à ces droits rejoint les vues du Saint-Siège, qui y voit une perspective fondamentale de l’UNESCO.

C’est sur ce sujet que nous ferons porter notre intervention, nous y trouvant aussi encouragé par l’actualité que confère à ce problème le 30e anniversaire de la célèbre Déclaration ainsi que la ratification récente des pactes de 1966.

En un discours tout récent aux diplomates, le Pape Jean-Paul II a dit, en effet, que l’Église considère comme un devoir le respect des droits de chaque nation. Un peu plus loin, il a dit qu’elle doit appuyer la défense des causes humaines :

Les chrétiens, a-t-il ajouté, ne demandent aucun privilège, mais veulent être admis à participer de plein droit à la vie publique. Le Saint-Siège, dit-il, le fait dans l’intérêt des hommes quels qu’ils soient, sachant que la liberté et le respect de la vie et de la dignité de la personne –qui ne sont jamais des instruments– l’égalité des traitement, la conscience professionnelle dans le travail, et la recherche du bien commun, l’esprit de réconciliation, l’ouverture aux valeurs spirituelles sont des exigences fondamentales de l’harmonie de la vie sociale, du progrès des citoyens et de la civilisation […] il y a encore trop de misère physique et morale, continue-t-il, qui dépend de l’égoïsme, de la cécité et de la dureté des hommes. L’Église, dans la mesure où elle est concernée, veut contribuer à atténuer ces misères […] en éduquant le sens moral, par l’action des chrétiens et des hommes de bonne volonté […]. En faisant cela, elle est fidèle à son maître Jésus-Christ.

Certes, l’UNESCO ne peut agir que dans les limites de sa compétence, mais n’est-elle pas la conscience des Nations Unies ? Sa tâche éducative est ici, d’une valeur exceptionnelle. Elle doit promouvoir l’enseignement des droits de l’homme et ce, surtout, au plan universitaire. En le faisant, elle contribue, de manière privilégiée, à la paix du monde. Il est heureux que l’UNESCO ait organisé tout récemment une réunion d’experts sur la réalisation d’une paix fondée sur le respect des droits de l’homme.

Certes, les peuples d’une extrême pauvreté insistent à juste titre sur le droit qu’ils ont de ne pas mourir de faim, ou, en général, d’exister. L’Église espère que les instances internationales ne manqueront pas de donner à ce problème la priorité à laquelle il a droit. Paul VI l’a rappelé dans sa très célèbre encyclique Populorum progressio de 1967. La réticence de certains pays devant la manière dont est parfois posé le problème des droits de l’homme dans les instances internationales est due à la priorité qu’a pour eux le développement. En s’attachant récemment au problème des besoins fondamentaux de l’homme, l’UNESCO s’inscrivant dans le cadre des Nations Unies à ce sujet, contribue heureusement à cette correction de perspectives.

Mais pour bien défendre les droits de l’homme, il faut reconnaître le véritable fondement. La méconnaissance de ce dernier pourrait conduire à relativiser ces droits. Déjà le grand philosophe Vladimir Solowiew, mort en 1900, ironisait sur ceux qui exaltait la personne humaine au dessus de tout, mais pour qui sa réalité n’était qu’un humble phénomène physico-chimique. La Bible et le Coran, admis presque par la moitié de l’Humanité, donnent à l’homme une origine transcendante, affirmée également par beaucoup d’autres confessions et philosophies. Le psaume 8 interpelle ainsi l’Omnipotent :

Qu’est-ce que l’homme pour que tu t’en souviennes ! […] Tu l’as placé peu au dessous des anges ! (Ps 8,5-6)

Et saint Augustin comment ce texte en disant que « l’intelligence, fonction toute spirituelle, donne aux fils d’Adam ressemblance avec le créateur ». Sous cette lumière la transcendance de l’homme s’éclaire et ses droits se situent bien au delà d’un pur droit positif.

Mais, croyants ou non, tous, nous reconnaissons de plus en plus aujourd’hui, que la proclamation des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est aucunement une façon de voir passagère. C’est un fondement bien plus profond de ces droits qui s’affirme quand un grand mouvement s’amplifie contre l’horreur et le caractère dégradant de la torture sans cesse pratiquée de nos jours et d’autres violations de nos droits. Déjà Vatican II, charte des catholiques actuels, disait, au numéro 27 de la célèbre constitution Gaudium et spes :

Tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, […] tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques, tout ce qui porte offense à la dignité humaine comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ou encore les conditions de travail dégradantes […] toutes ces pratiques et d’autres encore sont en vérité, infâmes.

On pourrait augmenter encore la liste en mentionnant racismes, génocides, restriction à l’expression des opinions dont le Pape Jean-Paul II a récemment parlé aux journalistes, usage de la liberté pour démoraliser les jeunes, atteintes au droit de vivre des enfants dans le sein de leur mère, etc.

Mon dernier mot sera sur le caractère social et non individualiste des droits qui nous intéressent. La Déclaration universelle de 1948 n’échappe pas entièrement à ce défaut. La famille, l’ethnie même minoritaire, la région, la langue, la culture sont nécessaires à l’homme et leurs droits qui ont pour corollaire des devoirs sont sacrés.

Je vous remercie de votre attention.
Thank you, Spassibo. Gracias. Obrigado. Et, comme tous les catholiques sont maintenant devenus quelque peu polonais : Djenkuie bardo.

Pour consulter les résolutions de la 20e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114032f.pdf