Intervention de Mgr Angelo Felici, chef de délégation, durant le débat de politique générale

L’enseignement de la fraternité : Mgr Angelo Felici à la 22e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 28 octobre 1983

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Monsieur le Président, après celles des autres délégations, veuillez accepter les félicitations de la délégation du Saint-Siège pour votre élection à la présidence de la 22e session de la Conférence générale de l’UNESCO, élection qui a revêtu d’autant plus d’éclat qu’elle a été unanime. C’est un hommage rendu à vos qualités ainsi qu’un honneur pour votre [1].

Monsieur le Président, la délégation du Saint-Siège tient, avant de présenter de brèves observations sur quelques points majeurs du programme de l’UNESCO, à souligner combien elle apprécie le rôle que joue l’Organisation, en tant que lieu de réflexion et d’échange d’idées, dans la diversité des convictions et des modes de pensée certes, mais dans un esprit de respect mutuel. Si elle ne faisait que cela, l’UNESCO jouerait déjà un rôle sans équivalent dans les domaines de sa compétence.

Nous tenons aussi à dire combien nous sommes sensibles au souci toujours accru de l’UNESCO de répondre par des actions bien précises, soigneusement choisies et conçues, à des problèmes graves et d’une grande actualité. Cela par des moyens très divers : réunions de spécialistes, consultations, colloques réunissant d’éminentes personnalités, contribution à de multiples réalisations sur le terrain, publications. Au sujet de ces dernières, qu’il nous soit permis de souhaiter qu’elles puissent recevoir une plus ample diffusion, à la mesure de leur qualité et du service qu’elles peuvent rendre.

Paix

Combien nous apprécions aussi que la poursuite de la paix demeure à la base de toute l’action de l’UNESCO ! Particulièrement en un moment où, en tant de régions, nous la voyons compromise, menacée et même si gravement troublée. Certes –est-il besoin de le redire ?– il n’est pas de la compétence de l’organisation d’en traiter sous ses aspects politiques, mais n’est-il pas légitime et opportun qu’il lui revienne d’œuvrer en sa faveur par une action sur l’esprit et le cœur des hommes.

Ici même, le 5 octobre dernier, en présence du Directeur général, a été célébré le 20e anniversaire de l’encyclique Pacem in terris du pape Jean XXIII. Dans ce document majeur, ainsi que dans de nombreux autres textes pontificaux, notamment les messages pour les journées de la paix, il a été nettement rappelé qu’il n’est de paix véritable qu’associée à la liberté et à la justice. En d’autres termes que le concept de paix est inséparable de celui des droits de l’homme : essentiellement tels qu’ils sont formulés dans la Déclaration universelle de 1948 et dans les deux Pactes internationaux de 1966, l’un relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’autre relatif aux droits civils et politiques. Que ce nous soit l’occasion de noter que l’on rapproche aujourd’hui, ce qui d’ailleurs se rencontre déjà dans Pacem in terris, les droits de l’homme et les droits des peuples. Cela a notamment l’avantage de souligner que l’homme n’est pas seulement un individu, mais un être social, un être de relations, au sein de nombreux groupes sociaux, particulièrement des nations. Mais ce parallèle, cette complémentarité, ne doivent pas nous faire méconnaître le primat, l’absolu de la personne humaine, auquel l’intérêt collectif ne saurait porter atteinte en aucune manière.

Pour entendre la paix dans toute sa signification et lui donner toute sa réalité, il nous faut y voir le fruit d’une universelle réconciliation. Plus positivement, d’une universelle fraternité. Fraternité qu’appelle la commune condition des hommes et leur étroite solidarité. Fraternité qui est le grand enseignement que les chrétiens ont reçu du Christ. Et cette fraternité ne sera vraiment effective que si, entre les hommes, entre les peuples, se poursuit cet effort de compréhension mutuelle que l’UNESCO a toujours si justement associé à la recherche de la paix, compréhension mutuelle gui implique l’ouverture de chacun vers les autres et le souci de les reconnaître tels qu’ils sont, dans leur être authentique, leurs traits propres, leurs aspirations les plus profondes.

Permettez-moi, maintenant, Monsieur le Président, de faire quelques commentaires sur trois grands domaines du programme soumis à cette Conférence : l’éducation, la culture, la communication, en me plaçant dans la perspective de la contribution commune qu’ils peuvent apporter à la promotion et à l’épanouissement de l’homme et de tous les hommes, de toutes les virtualités qu’ils portent en eux, et aux progrès de leur compréhension mutuelle par-delà les diversités, les divergences qui si souvent les opposent.

Éducation

Du programme de l’éducation, nous retiendrons deux points qui nous paraissent d’une importance majeure. D’une part la formation des maîtres. Si excellents que puissent être les programmes d’enseignement et les processus de planification de l’éducation, ils n’auront d’effet que si l’école dispose de maîtres vraiment conscients de leur tâche. Certes, ils doivent être compétents et capables de transmettre un savoir, mais il leur faut être aussi des éducateurs au plein sens de ce terme. Bien que cette tâche incombe en premier lieu à la famille, ils ont, sous des modalités diverses, selon leurs fonctions, à apporter leur contribution à la formation de l’homme, non seulement de son intelligence, mais aussi de son caractère et de sa volonté. Ils ont à faire connaître, à faire apprécier ces valeurs qui, pour une si large part, sont aujourd’hui, sinon –hélas– toujours traduites dans la vie concrète, reconnues par-delà la diversité des convictions comme le patrimoine commun de l’humanité. Valeurs qui procèdent fondamentalement de la reconnaissance de la dignité et de la grandeur de l’homme, et des rapports entre les hommes, réunis dans une œuvre commune de promotion de tout ce qui fait le prix de la vie humaine.

Le second aspect du programme d’éducation sur lequel nous voudrions présenter quelques réflexions est l’éducation des adultes. Il s’agit non seulement de la section du programme qui la vise nommément, mais de nombreuses autres sections qui, sans que la notion s’y trouve exprimée, intéressent directement cette éducation. Il apparaît que, sous ces modes variés, l’UNESCO attache à cette éducation une importance croissante. D’ailleurs, elle retient actuellement d’autant plus l’attention de l’organisation que, sous ses auspices, se réunira en 1985 la 4e Conférence internationale de l’éducation des adultes. Cette conférence est pleinement justifiée, non seulement par les déficiences, voire l’absence, hélas encore si répandue, de la formation scolaire, mais encore par l’évolution si rapide de notre civilisation, des modes de vie, des techniques. Sans qu’en aucune manière soit minimisé le rôle spécifique de l’école qui demeure irremplaçable, l’éducation des adultes apparaît une exigence majeure de notre temps. Elle vise sans doute des objectifs pratiques, mais il faut bien mesurer qu’elle constitue un facteur de grande portée pour la promotion personnelle de l’homme.

Nous en discernons deux aspects fondamentaux :
– d’une part l’alphabétisation qui, bien conçue, constitue la condition essentielle, spécialement dans les pays en développement, d’une prise de conscience des masses demeurées jusqu’ici trop passives, surtout dans les zones rurales, et qui devrait notamment leur permettre de participer pleinement à la vie sociale et politique de leur pays ;
– d’autre part, une formation professionnelle faute de laquelle un pays n’est pas en mesure de prendre en main son destin, de faire par lui-même une œuvre constructive, d’assurer son développement.

À cet égard, l’UNESCO ajoute à son action dans le domaine de l’enseignement technique scolaire et universitaire, une contribution selon des modalités diverses à des formations trop peu connues en dehors du cercle des spécialistes alors qu’elles sont d’une si grande importance, notamment dans le cadre de ses grands programmes scientifiques et techniques sur l’océanographie, l’hydrologie, ou l’éducation relative à l’environnement.

Culture

S’agissant de la culture, l’UNESCO sait combien son action retient l’attention du Saint-Siège et s’accorde à bien des égards avec la sienne. Qu’il nous suffise de rappeler le discours prononcé ici même le 2 juin 1980 par le Pape Jean-Paul II et les contacts récents pris avec l’UNESCO par le Conseil pontifical pour la culture, créé l’an dernier par Jean-Paul II. L’UNESCO a eu le grand mérite de reconnaître, dès qu’elle s’est dessinée, la perspective si nouvelle dans laquelle se présente la culture dans le monde contemporain, tout particulièrement lors de la Conférence Mondiacult à Mexico. La culture n’est plus seulement réservée à une élite ; elle est offerte à tous ; tous peuvent y prétendre, car elle apparaît non comme un luxe, un superflu, mais comme une expression essentielle de l’être de l’homme et des peuples, comme un facteur majeur de leur affirmation, de leur promotion et de leur épanouissement, de leur élévation spirituelle. Et elle est reconnue –ce qui est nouveau– comme une composante majeure du développement. Pour une large part spécifique à chaque peuple, elle appelle l’échange, l’appréciation mutuelle. Mais elle comporte également bien des éléments communs à l’humanité tout entière. Parmi ceux-ci, notons la culture scientifique et technique.

Communication

En ce qui concerne l’information et la communication, la délégation du Saint-Siège tient à dire combien elle apprécie l’effort considérable et novateur à bien des égards que l’UNESCO déploie dans ce domaine si complexe et aux aspects très divers.

Au premier rang y figure le droit de tous à l’information et la liberté de communication, aujourd’hui si menacée, et le souci d’une communication qui, pour être, comme elle se doit, source de communion entre tous, implique l’honnêteté fondée sur la vérité.

Mais ne convient-il pas de souligner deux périls pour l’information et la communication ? D’une part, un manque de qualité et aussi, maintes fois, la dégradation morale qu’il favorise. D’autre part, un excès de « messages », non certes dans tous les pays –beaucoup souffrent cruellement d’une insuffisance d’information et de communication– mais surtout dans les pays développés. Cet excès est source de dispersion et d’une « extériorisation », qui affecte en l’homme l’intériorité sans laquelle il ne saurait être maître de sa vie, la conduire selon un dessein clairement reconnu et voulu, l’accomplir véritablement.

Conclusion

Monsieur le Président, permettez-moi de profiter de cette intervention pour évoquer un autre problème qui, je le sais, retient pleinement l’attention de l’UNESCO, bien qu’il n’y figure pas au titre d’un grand programme, mais leur est à tous sous-jacent, à savoir le problème de la jeunesse, qui se trouvera d’ailleurs particulièrement à l’ordre du jour du fait que 1985 sera l’Année internationale de la jeunesse. Puisse l’UNESCO bien mesurer ce problème dans toute sa gravité, qui réside essentiellement dans l’angoisse de la jeunesse –le terme n’est pas trop fort. Angoisse devant un chômage qu’il y a peu d’espoir de voir diminuer, angoisse devant la folie des armements, angoisse devant la vie à laquelle tant de jeunes ne savent donner un sens. Certes, à elle seule, l’UNESCO ne saurait répondre à ce problème. Mais elle peut beaucoup y contribuer par son action, principalement dans les domaines que nous avons évoqués.

Sans doute cette Assemblée qui réunit des personnalités si remarquables, si qualifiées et profondément attachées à l’UNESCO, à son œuvre, saura donner au programme de l’Organisation toute la valeur et l’efficacité qu’appellent les problèmes si grands et si fondamentaux auxquels elle entend faire face dans le monde d’aujourd’hui.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Pour consulter les résolutions de la 22e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0005/000576/057611f.pdf

[1Le président de la 22e session de la Conférence générale de l’UNESCO était Monsieur Saïd Tell de la Jordanie.