Intervention de Mgr Luigi Poggi, chef de délégation, durant le débat de politique générale

Le développement culturel de l’UNESCO : Mgr Luigi Poggi à la 23e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Sofia, 10 octobre 1985

Accueil > Actualités > Le développement culturel de l’UNESCO : Mgr Luigi Poggi à la 23e session de la (...)

Monsieur le Président, au nom de la délégation du Saint-Siège, je me permets de vous féliciter de votre élection à la présidence de la vingt-troisième session de la Conférence générale de l’UNESCO et de féliciter aussi les membres du Bureau, les présidents et les membres des différentes commissions qui ont reçu la tâche importante et délicate de diriger les travaux de cette session dont on attend beaucoup et sur lesquels reposent tant d’espoirs. Par votre intermédiaire, Monsieur le Président, la délégation du Saint-Siège remercie les autorités bulgares pour l’accueil qui nous est réservé dans cette belle ville de Sofia dont le nom incite à la sagesse.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, il y a quarante ans, à un mois près, l’UNESCO, institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, commençait son cheminement et son œuvre pour élever dans l’esprit des hommes les défenses de la paix. Aujourd’hui, en ces moments où l’UNESCO connaît des difficultés, notre délégation tient à exprimer l’estime que le Saint-Siège porte à l’organisation à cause du rôle majeur qu’il lui reconnaît et de la convergence, sur un certain nombre de questions fondamentales, des objectifs de l’UNESCO avec la mission du Saint-Siège.

Nous ne voulons pas reprendre ici ce qu’en de multiples circonstances le Saint-Siège a eu l’occasion de dire à ce sujet, tout particulièrement par la voix des Papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II, comme dans les interventions de notre délégation aux précédentes sessions de la Conférence générale. Nous dirons seulement, à l’égard de l’UNESCO, que la position du Saint-Siège demeure aussi nette et aussi ferme que par le passé quant à la validité des objectifs de l’UNESCO.

Certes, nous savons les problèmes difficiles qui se posent aujourd’hui à l’organisation. Il ne nous appartient pas de les évoquer ici dans le détail. Mais nous tenons à souligner le travail poursuivi par l’UNESCO, par son Directeur général, par son Conseil exécutif, en vue de les résoudre, et les mesures qui ont déjà été prises dans ce sens. Et nous voudrions insister sur ce qui, pour nous, constitue l’enjeu fondamental de la crise de l’organisation, car nous craignons que les discussions, certes nécessaires pour une large part, ne conduisent, sinon à le perdre de vue, du moins à le reléguer dans un horizon lointain.

Il s’agit d’un aspect de l’idéal et de l’action de l’UNESCO, comme d’ailleurs de l’Organisation des Nations Unies et des autres institutions spécialisées, mais avec ici un accent propre et plus marqué, du fait de la compétence spécifique de l’UNESCO. Un tel aspect doit être rappelé et mis au tout premier rang. Nous voulons parler de l’universalité de ses objectifs. En y portant atteinte, on méconnaîtrait la réalité majeure de l’unité de l’humanité, de la communauté de destin de tous les hommes, par delà les légitimes partages en nations indépendantes. De cette universalité, l’UNESCO constitue, dans l’ordre des choses de l’esprit, une expression nécessaire, et l’une des plus valables. Ne sommes-nous pas actuellement dans un monde où cette universalité, qui est de toujours, se manifeste sans cesse plus concrète et appelle corrélativement, de plus en plus, des concertations et des réalisations d’envergure universelle ?

Cette universalité ne doit pas demeurer à un niveau spéculatif. Elle n’atteindra toute son actualité, toute son efficacité, que si elle se traduit en termes de solidarité. Nous entendons par là ces échanges, ces coopérations, ces aides mutuelles par lesquels, tout à la fois, chaque peuple apporte aux autres ce qui peut leur permettre de réaliser leur développement, leur épanouissement, et reçoit d’eux des apports semblables. Cela s’impose spécialement à une époque où des peuples qui, en grand nombre, ont récemment accédé à l’indépendance, recourent à cette universalité pour être mieux reconnus et pour s’affirmer dans leur singularité.

Affaiblir l’universalité de l’UNESCO serait compromettre gravement la mise en œuvre de la solidarité, tout particulièrement de la coopération multilatérale, dont nous savons certes les limites, mais qui a des vertus que ne saurait offrir au même degré, si nécessaire et valable qu’elle soit par ailleurs, la seule coopération bilatérale.

Organisation de caractère universel, de par sa nature même, l’UNESCO s’est vu confier dans cette perspective, par son Acte constitutif, une œuvre de paix. Ici non plus, nous n’avons pas à redire ce que, maintes fois, le Saint-Siège a tenu à souligner : l’importance majeure de cet objectif. Qu’il suffise de rappeler ce qui a été dit à cet égard de façon ample, profonde et actuelle, notamment dans l’encyclique Pacem in terris du Pape Jean XXIII ; en effet, la paix n’est pas seulement absence de guerre ; elle est avant tout absence de la peur de la guerre ; elle a aussi, d’autres synonymes tels que : réconciliation, coopération internationale, développement et progrès intégral de l’homme.

Puisse-t-on mieux comprendre que l’UNESCO n’accomplira vraiment cette œuvre de paix que dans le domaine exact de sa compétence, avant tout par ses investigations et ses réalisations concernant l’éducation, la science, la culture, et maintenant la communication ; tâches auxquelles, de fait et depuis longtemps, elle consacre de loin la plus grande part de ses activités et de ses ressources et sur lesquelles s’accordent ses États membres ! De bien moindre importance et souvent même source de péril pour son unité, sont à cet égard, nous semble-t-il, les dissertations et discours trop généraux, qui ne font d’ailleurs que reprendre des points de vue déjà maintes fois exprimés et qui sont à l’origine d’équivoques et de vains affrontements.

Il serait extrêmement regrettable que la polarisation sur de telles questions et les controverses qu’elles entraînent compromettent la poursuite de l’œuvre de l’UNESCO, en soi si constructive et de si grande importance ; qu’elles conduisent aussi à la méconnaître, ce qui –hélas !– est déjà souvent le cas dans des milieux qui ont mission, à divers titres, de traiter des affaires de l’UNESCO, comme dans une part notable de l’opinion publique, pas toujours bien informée.

Sans s’engager dans une appréciation détaillée du programme soumis à la Conférence générale, la délégation du Saint-Siège voudrait souligner l’intérêt tout particulier qu’elle porte au programme concernant la culture et au projet d’une Décennie mondiale du développement culturel. À côté de l’œuvre fondamentale que l’UNESCO poursuit depuis sa fondation dans les domaines de l’éducation et de la science, l’ayant rendue sans cesse plus adaptée et plus efficace par une longue expérience –ce qui n’est pas assez reconnu–, et sans oublier le domaine de la communication, le domaine de la culture nous apparaît comme celui qui est appelé à connaître les plus notables développements et où se posent les problèmes les plus neufs. Il constitue un secteur dont la portée pour l’épanouissement de l’homme, dont l’enjeu spirituel, apparaissent sans cesse mieux reconnus. C’est ce qu’a attesté notamment l’accueil que l’UNESCO a réservé au discours prononcé dans son enceinte par le Pape Jean-Paul II, qui invitait à déterminer, dans ses aspects les plus profonds, la nature et la portée de la culture.

Nous voudrions, en terminant, souligner que les insistances exprimées dans notre intervention sont avant tout inspirées par l’attitude que s’est toujours fixée l’Église catholique à l’égard des objectifs de l’organisation. Il ne lui appartient pas de s’immiscer dans les aspects pratiques et purement temporels de son action, mais elle estime devoir l’apprécier au nom de sa mission spirituelle et de l’éthique. Le Saint-Siège souhaite que les États membres de l’organisation soient toujours plus conscients de cet enjeu supérieur des objectifs de l’UNESCO et reconnaissent toujours mieux l’importance de son rôle. Ils devraient mieux mesurer leurs responsabilités à ce sujet. On voudrait que son avenir leur tienne encore davantage à cœur.

Alors, au-delà de tant de soucis, de difficultés, et d’inévitables divergences, auxquels l’organisation est aujourd’hui confrontée, c’est dans une espérance, non pas naïve, mais ferme et éclairée, que nous pourrons voir l’UNESCO poursuivre et mieux accomplir les tâches qui lui ont été fixées, dans une coopération et un dialogue qui supposent et qui visent une pleine et vraie compréhension entre ses États membres et une ouverture mutuelle qui progresse entre eux.

Merci de votre attention.

Pour consulter les résolutions de la 23e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0006/000684/068427f.pdf